La retraite progressive doit bénéficier aux salariés en forfait-jours selon le Conseil constitutionnel

04 mars 2021



Liaisons sociales Quotidien - L'actualité, Nº 18256, 3 mars 2021

Saisi d’une QPC transmise par la Cour de cassation, le Conseil constitutionnel s’est prononcé le 26 février 2021 sur la validité du mécanisme de la retraite progressive. En ligne de mire, la rédaction de l’article L. 351-15 du Code de la sécurité sociale, qui réserve ce dispositif au salarié « qui exerce une activité à temps partiel au sens de l’article L. 3123-1 du Code du travail », ce qui suppose que le temps de travail soit quantifié en heures. Ce renvoi conduit à en exclure les salariés bénéficiant d’un forfait-jours réduit (inférieur à 218 jours ou au plafond moindre prévu par accord collectif), en l’absence de toute référence horaire. Cette différence de traitement entre les salariés dont la durée du travail est quantifiée en heures et ceux dont l’activité est mesurée en jours a été jugée contraire au principe d’égalité.

Exclusion des salariés en forfait-jours réduit

Grâce au mécanisme de retraite progressive, les travailleurs âgés d’au moins 60 ans et justifiant d’une durée d’assurance de 150 trimestres peuvent percevoir une fraction de leur pension de retraite, tout en poursuivant une activité professionnelle à temps partiel auprès d’un ou plusieurs employeurs (CSS, art. L. 351-15 et R. 351-39 ; v. le dossier juridique -Retraite- nº 67/2015 du 13 avril 2015).

Tous les travailleurs soumis à une activité réduite ne peuvent cependant pas y prétendre. Sont visés, aux termes de l’article L. 351-15 du Code de la sécurité sociale, le travailleur indépendant justifiant d’une diminution de ses revenus professionnels et le salarié « qui exerce une activité à temps partiel au sens de l’article L. 3123-1 du Code du travail ». Et selon ce dernier article, sont en temps partiel, les salariés dont la durée de travail, quantifiée en heures, est inférieure à la durée légale du travail ou à la durée fixée conventionnellement au niveau de la branche ou de l’entreprise.

Ainsi, les salariés en forfait-jours, quand bien même la convention individuelle prévoirait un nombre de jours travaillés inférieur au plafond légal de 218 jours ou au plafond inférieur fixé par une convention de branche ou d’entreprise, sont exclus de la liste des bénéficiaires de la retraite progressive, conformément d’ailleurs à l’analyse des textes opérée par la Cour de cassation (Cass. 2e civ., 3 novembre 2016, nº 15-26.276). La jurisprudence retient en effet habituellement que le plafond légal de 218 jours ne constitue pas la durée de travail à temps plein, mais le nombre maximum de jours pouvant être travaillés dans l’année. Un salarié en forfait-jours réduit n’est donc pas considéré comme un salarié à temps partiel (Cass. soc., 27 mars 2019, nº 16-23.800 ; v. l’actualité nº 17796 du 12 avril 2019). Il en a été jugé de même à propos d’un abattement d’assiette des cotisations sociales devant s’appliquer aux « salariés à temps partiel au sens de l’article L. 3123-1 du Code travail » (Cass. 2e civ., 11 juillet 2013, nº 13-40.025).

Aussi, en pratique, l’état du droit et de la jurisprudence contraint les salariés en forfait-jours à y renoncer au profit d’un temps partiel quantifié en heures, s’ils souhaitent bénéficier de la retraite progressive.

Atteinte au principe d’égalité devant la loi

À l’occasion d’un litige opposant une caisse de retraite à une salariée soumise à un forfait annuel de 171 jours, à laquelle le bénéfice de la retraite progressive avait été refusé pour ce motif, la Cour de cassation a accepté de soumettre la difficulté au Conseil constitutionnel via une question prioritaire. Ce dernier devait ainsi examiner la validité, au regard du principe d’égalité de traitement devant la loi (DDHC, art. 6), de la formulation « qui exerce une activité à temps partiel au sens de l’article L. 3123-1 du Code du travail » énoncé à l’article L. 351-15 du Code de la sécurité sociale.

En l’occurrence, dans leur décision du 26 février, les Sages ont confirmé l’existence d’une différence de traitement, sans rapport avec l’objet de la loi, entre les salariés à temps partiel et les salariés en forfait-jours qui travaillent de manière réduite.

Certes, « les salariés dont la durée du travail est quantifiée en heures et ceux qui exercent une activité mesurée en jours sur l’année sont dans des situations différentes au regard de la définition et de l’organisation de leur temps de travail ». Cependant, poursuit la décision, « en instaurant la retraite progressive, le législateur a entendu permettre aux travailleurs exerçant une activité réduite de bénéficier d’une fraction de leur pension de retraite en vue d’organiser la cessation graduelle de leur activité. Or, les salariés ayant conclu avec leur employeur une convention de forfait en jours sur l’année fixant un nombre de jours travaillés inférieur au plafond légal ou conventionnel exercent, par rapport à cette durée maximale, une activité réduite ».

Et d’en conclure qu’« en privant ces salariés de toute possibilité d’accès à la retraite progressive, quel que soit le nombre de jours travaillés dans l’année », la disposition concernée du Code de la sécurité sociale méconnaît le principe d’égalité devant la loi.

Déclaration d’inconstitutionnalité à effet du 1er janvier 2022

Concrètement, les mots « qui exerce une activité à temps partiel au sens de l’article L. 3123-1 du Code du travail ou », figurant à l’article L. 351-15 du Code de la sécurité sociale, déclarés par cette décision non conformes à la Constitution, doivent être abrogés. Toutefois, le Conseil constitutionnel a choisi de reporter les effets de sa décision au 1er janvier 2022. Une abrogation immédiate aurait en effet pour effet de priver les salariés à temps partiel du bénéfice de la retraite progressive, ce qui entraînerait, selon les Sages, des conséquences manifestement excessives.

Il appartient donc au législateur d’intervenir dans l’intervalle pour apporter les correctifs nécessaires. Notons que l’évolution de ces règles avait déjà été envisagée par l’article 25 du projet de loi « instituant un système universel de retraite », considéré comme adopté par l’Assemblée nationale le 3 mars 2020. Ce texte prévoit d’ouvrir le dispositif de retraite progressive aux salariés en forfait-jours. La réforme est actuellement en suspens depuis le début de la crise sanitaire.

Conseil constitutionnel, Décision nº 2020-885 QPC du 26 février 2021 Conseil constitutionnel, Décision nº 2020-885 QPC du 26 février 2021

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