Sexisme ordinaire : 10 phrases à bannir en entreprise... et ailleurs

28 mars 2022

Clichés d’une époque qu’on pourrait croire révolue, certains propos s’immiscent pourtant toujours au détour d’un couloir, à la machine à café ou en plein open space. Des paroles qui, sous couvert d’être anodines, pas mal intentionnées voire même «drôles » pour ceux/celles qui les prononcent, dissimulent en vérité des stéréotypes de genre qui nuisent à vos équipes et votre structure.

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« Vous n’avez pas prévu de faire un enfant bientôt ? »

Contexte du délit : glissée en toute décontraction lors d’un entretien d’embauche entre les fameux « Parlez-moi de vous » et « Où vous voyez-vous dans 10 ans ? »
Traduction : ma bonne dame, un process de recrutement c’est du temps et de l’argent qu’on ne souhaite pas investir aujourd’hui, pour te trouver un·e remplaçant·e dans les 5 ans qui viennent. Ta vie perso ? Mais, quelle vie perso ?
Pourquoi c’est grave : parce que c’est déjà pénible de la part de sa belle-mère chaque dimanche midi, mais dans le cadre d’un entretien professionnel c’est tout bonnement illégal : un·e recruteur·euse n’est pas en droit de demander à une candidate une information sur sa vie privée en vue d’évaluer ses capacités à occuper un poste.
Résolution : on garde ses questions indiscrètes pour son prochain crush et on s’en tient à la description des conditions inhérentes au poste (horaires atypiques, déplacements, etc.), en laissant le soin à la candidate d’évaluer sa compatibilité avec sa vie personnelle. Et on n’oublie pas de se demander si se priver du vivier conséquent de talents composé des femmes désirant un ou plusieurs enfant(s) est vraiment un bon calcul…

« Tu peux nous faire un café stp ? »

Contexte du délit : lâchée le plus souvent avec un clin d’œil entendu, avant de chercher la personne adéquate pour rédiger le compte rendu de la réunion. À tien, c’est encore elle ?
Traduction : on préfère réfléchir et agir entre nous, mais puisque tu es là autant te trouver quelque chose à faire non ?
Pourquoi c’est grave : demander à une femme de préparer un café comme s’il était « normal » qu’elle réalise cette tâche dans le cadre de ses prérogatives, ou qu’elle est « la mieux placée » pour rendre ce service, compte parmi les comportements excluants caractéristiques du sexisme au travail. Entendons-nous bien : c’est anormal, irrespectueux et rabaissant.
Résolution : 9 femmes sur 10 considèrent qu’il est plus facile de « faire carrière » pour un homme. Il est donc urgent d’inverser la tendance et de faire prendre conscience à tou·te·s que l’égalité hommes/femmes n’est pas qu’un beau principe, mais un droit. Pour affirmer vos convictions sur ce sujet en tant que décisionnaire, il est utile de faire figurer dans votre règlement intérieur une disposition relative aux comportements à adopter entre hommes et femmes, tout en promouvant une politique incitant à la vigilance sur le lieu de travail en matière de propos et de comportements sexistes.

« L’idéal ce serait que tu viennes avec nous voir ce client et si tu peux mettre une jupe, c’est encore mieux… »

Contexte du délit : mentionnée en prépa d’une réunion stratégique avec un client on ne peut plus recommandable, qui a un goût sûr pour les blondes paraît-il (on ne parle pas des bières évidemment).
Traduction : tes hard ou tes soft skills importent peu, est-ce seulement utile de dire que ton embauche tient à une partie de chifoumi sur ta photo de CV ? Si j’étais toi, je le prendrai comme un compliment.
Pourquoi c’est grave : le contrat de travail qui scelle la relation entre votre salariée et votre entreprise repose basiquement sur un échange de compétences clés contre rémunération. Et scoop ! Ces compétences ne tiennent pas compte de sa possible capacité à séduire une bande de machistes grâce à sa plastique (le droit de cuissage est révolu, dieu merci), mais bien de mettre en œuvre les missions de sa fiche de poste et de remplir les objectifs qui y sont attachés.
Résolution : pour aller plus loin en matière d’égalité de considération et de traitement entre hommes et femmes, le bon outil peut être la création d’une charte éthique. Vous pourrez ainsi y faire figurer la définition même du sexisme ordinaire, en rappeler l’interdiction tout en détaillant les différents comportements prohibés dans votre structure entre vos collaborateur·rices, mais également avec vos fournisseurs, client·es, etc.

« Vous êtes si sensibles, vous, les femmes… Vous prenez tout à coeur »

Contexte du délit : balancée sans sensibilité aucune (c’est le cas de le dire) par la brute d’un monde archaïque.
Traduction : Vouuuus les femmes, vouuuus le charme. Vous si douces, vous la source de nos larmeeeees. Bref, le sang froid c’est pas votre truc petites choses fragiles, mais on est là, heureusement.
Pourquoi c’est grave : la sensibilité n’est pas une question de genre, en dépit du moule dans lequel on glisse encore les individus en raison de certains biais qui nous collent à la peau et au cerveau. En entreprise, nourrir de tels clichés n’est bon pour personne, car ils stoppent l’expression de soi, inhibent l’intelligence collective et vous font passer à côté d’une sérieuse dose de créativité et d’innovation.
Résolution : pour prendre conscience de la répercussion du sexisme ordinaire au cœur de votre structure, encore faut-il la mesurer. Les enquêtes climat fleurissent, notamment depuis la crise du Covid avec l’intérêt montant porté à la santé mentale des collaborateur·rices. Le sexisme n’est pas sans conséquence lui aussi : 95% des femmes et 90% des hommes affirment qu’il engendre une baisse de confiance en soi et respectivement 94% et 90% une déstabilisation de la personne. Des questions liées au sexisme par le biais de sondages anonymes peuvent vous permettre de connaître la fréquence de telles manifestations dans votre entreprise et ainsi mieux réagir.

« Tu sais, il y a de fortes chances pour que tu n’aies plus les mêmes ambitions à ton retour de congé mat »

Contexte du délit : annoncée dans une prédiction digne de Madame Irma, sans boule de cristal et sans nuance non plus.
Traduction : une femme qui devient mère, c’est bien connu, est moins investie, moins ambitieuse, moins disponible. Elle est mère quoi !
Pourquoi c’est grave : le risque majeur est celui de la menace du stéréotype : parce qu’elles sont moins considérées, les femmes vont chercher à compenser le préjugé dont elles sont tributaires. Les femmes enceintes, par exemple, vont éviter d’utiliser les politiques d’aménagement auxquelles elles ont le droit (horaires, charges, etc.) pour ne pas paraître plus fragiles à l’égard de leurs collègues et managers.
Résolution : 75% des femmes ont déjà entendu des considérations négatives sur la maternité ou le temps partiel. Pour remédier à cette fragilisation de leur sentiment de compétence personnelle et l’ambition d’accéder à certains postes à responsabilités dans votre entreprise, l’idéal est encore de mettre en place une politique de parentalité égalitaire. Création d’un onboarding dédié au retour du congé parental, session d’information spécifique sur l’ensemble des droits, aménagement du temps de travail… les mesures ne manquent pas pour mettre davantage à égalité les parents et réduire les biais de genre.

« Miss, j’aimerais avoir ta vision féminine sur ce dossier »

Contexte du délit : évoquée en toute subtilité en réunion après une multitude de coupages de paroles intempestifs.
Traduction : j’ai un niveau d’empathie proche de zéro mais comme je veux donner l’impression que ton avis importe, je sors la meilleure tirade faussement féministe que j’ai en stock. Plus c’est gros, plus ça passe non ?
Pourquoi c’est grave : le sexisme « bienveillant » (en tant qu’homme je suis là pour t’aider) n’est pas moins nocif que celui plus manifestement « hostile » (en tant qu’homme je suis là pour t’évincer). Ils sont en réalité les deux faces d’une même pièce condescendante et infantilisante à l’égard des femmes, celle du sexisme ambivalent théorisé par Peter Glick et Susan Fiske. Reste que la carte du féminisme washing passe très mal pour les entreprises dont les pratiques ne corroborent pas l’image qu’elles souhaitent véhiculer.
Résolution : une fois encore, dans le but d’évaluer et de rendre palpables les manifestations sexistes et leurs conséquences au sein de votre organisation, une bonne stratégie peut être la création de groupes de discussion mixtes, voire de réflexion autour d’une culture organisationnelle respectueuse de l’égalité hommes/femmes. Et pour ceux qui disposent déjà d’une cellule d’écoute, autant élargir son spectre à la question du sexisme.

« Pour ce poste, j’aimerais mieux privilégier quelqu’un qui sache en imposer, se faire entendre, créer l’adhésion… un homme quoi »

Contexte du délit : assénée en réponse à un souhait d’évolution sur un poste à dimension managériale.
Traduction : comme dirait Freud, « l’envie de réussir chez une femme est une névrose ». Ambiance…
Pourquoi c’est grave : non, le leadership n’est pas une qualité masculine. Oui les femmes sont bien des managers comme les autres. Vous en doutez ? Une étude menée par Zenger Folkman en atteste, quoiqu’elle mette en avant des qualités dites « féminines » qui peuvent vous faire tiquer. Reste qu’un stéréotype de genre comme celui-ci nuit sensiblement à la considération du champ des possibles en entreprise. Rien d’étonnant ensuite qu’il y ait des inégalités de représentation dans les postes à responsabilité ou les instances dirigeantes nécessitant la mise en place de quotas. Ou encore que les rares femmes qui y soient parvenues claquent la porte, lassées de n’être ni comprises, ni entendues.
Résolution : la formation de votre top management est essentielle pour créer une dynamique vertueuse. Parmi les outils de sensibilisation plébiscités, on compte notamment les audits, les guides internes sur la thématique de l’égalité hommes/femmes et les modules de formation dédiés. Certains, par exemple, incluent la question des stéréotypes de sexe, l’un à destination des managers, l’autre à destination des collaborateur·rices.

« Tu as vraiment besoin de cette augment’ ? T’es déjà bien payée pour une femme… »

Contexte du délit : déposée comme une bombe en entretien annuel malgré des objectifs atteints, voire dépassés.
Traduction : À travail égal, salaire égal ? Connais pô… J’ai cru que tu faisais ça pour tuer l’ennui, ça te dirait pas une petite vie calme de femme au foyer ?
Pourquoi c’est grave : l’égalité salariale est une question de fond de l’égalité professionnelle. Posée dans la loi du 22 décembre 1972, réaffirmée à de multiples reprises (notamment en 2018 avec la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel), elle n’en demeure pas moins inappliquée encore aujourd’hui. Les femmes perçoivent, en moyenne, une rémunération inférieure de 28,5% à celle des hommes à expérience comparable. Si rien ne vous choque, on comprend mieux pourquoi.
Résolution : l’instauration de supports d’entretien d’évaluation et de promotion dépourvus de critères qualitatifs genrés est une étape non négligeable pour favoriser la réduction des biais et éviter l’emploi d’un langage stéréotypé lors des évaluations des collaborateur·rices. Mais en vérité, la mise en place d’une grille de salaires égalitaire (et transparente, soyons fous/folles) ainsi qu’une politique de réduction des inégalités salariales existantes restent la meilleure option à envisager.

« C’est bon pour toi la réu mardi à 19h avec ton gamin ? J’ai le numéro d’une bonne nounou si besoin »

Contexte du délit : conseillée avec une bienveillance toute relative, par un·e collègue dont le budget “nounou” mensuel flirte avec un SMIC.
Traduction : mettre des bâtons dans les roues aux mères avec lesquelles je bosse est mon passe-temps favori.
Pourquoi c’est grave : la conciliation des temps de vie pro/perso ainsi que l’organisation du travail et des tâches est au cœur des inégalités entre hommes et femmes. Certaines conditions de travail, la culture d’entreprise et les modes de management qui vont avec, restent encore trop peu « inclusifs ». Mais au lieu de pénaliser ou de faire culpabiliser les mères, et plus encore les mères solos, pourquoi ne pas les considérer comme la population par défaut qui peut tirer vers le haut toute l’entreprise vers plus d’équité ?
Résolution : envisager un programme de réduction des biais à partir d’un principe de design, voilà une solution innovante pour proposer une expérience collaborateur·rice différenciante, tout en améliorant les relations interpersonnelles en permettant à chacun·e de comprendre les problématiques rencontrées par l’autre.

« Ohhh ça va si on ne peut plus rire. Tu as tes règles ou quoi ? »

Contexte du délit : prononcée à la suite d’une « blague », qui n’a visiblement pas fait rire son interlocutrice.
Traduction : en manque d’argument face à ton opinion contradictoire, je me rabats sur le meilleur joker que Mère Nature m’ait donné. C’était ça où te traiter d’hystérique.
Pourquoi c’est grave : l’humour compte pour beaucoup dans la construction et l’entretien de bonnes relations entre collègues. Mais en matière de sexisme ordinaire, il agit à double tranchant en dissimulant son caractère dénigrant sous couvert de « blagues ». 80% des collaboratrices françaises affirment en avoir déjà entendues, 50% d’entre elles en ont même été la cible, et ¾ des hommes disent en avoir été témoins.
Résolution : en favorisant la tolérance aux propos et comportements sexistes, l’humour crée des injonctions paradoxales pour les femmes : celle de rire en vue de maintenir l’esprit de groupe ou celle de ne pas rire au risque de passer pour une rabat-joie. En tant que manager ou RH, le développement et l’épanouissement de vos recru·es dans leur carrière pro est une prérogative de taille. Un accompagnement qui débute par l’instauration d’un climat de confiance et de respect. Pour le maintenir, il vous revient d’user de votre pouvoir disciplinaire pour affirmer le caractère inacceptable des comportements de sexisme ordinaire.