A l’ère du nouveau timonier Xi Jinping, les sociétés étrangères sont-elles toujours les bienvenues en Chine ?

15 décembre 2021

Même si le régime de Pékin ne s’est pas assoupli avec l’accroissement des échanges, les entreprises étrangères y ont multiplié leurs investissements

L’immensité du marché chinois exerce un puissant pouvoir d’attraction, mais le succès n’est pas toujours au rendez-vous.

Par Jean-Michel Bezat -Publié le 11 décembre 2021: Lire l’article complet



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A l’exception des géants du numérique. Le traitement de ces grands collecteurs de données et diffuseurs de contenus, sévèrement contrôlés par l’Etat et le Parti communiste, illustre le découplage des entreprises américaines et chinoises. En raison de la nouvelle loi chinoise sur la protection des données personnelles (frappant aussi les géants locaux), Epic Game (créateur du jeu vidéo « Fortnite ») et Yahoo ont annoncé leur départ en novembre, suivant d’un mois le réseau LinkedIn de Microsoft. Ils ont rejoint Facebook, Instagram, YouTube ou Google, qui avaient plié bagage il y a une dizaine d’années. Apple et Tesla ont dû faire des entorses à la protection de leurs données, hébergées sur le sol chinois, pour rester dans l’empire du Milieu, qui représente respectivement 20 % et 30 % de leur activité.

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Le risque est aussi politique, dénonçait George Soros, qui a désinvesti de Chine. Dans une tribune publiée début septembre par le Wall Street Journal, le milliardaire pointait l’« erreur tragique » commise par le gestionnaire d’actifs BlackRock, qui renforce ses positions dans le pays. Aux « probables pertes » pour ses clients s’ajoute, selon lui, le risque de voir ces capitaux porter « atteinte à la sécurité nationale des Etats-Unis et des autres démocraties » en finançant des activités hostiles à l’Occident.

 

Si la finance et les Big Tech sont sous haute surveillance, les autres secteurs n’échappent pas à un contrôle rigoureux. Mais leur maintien ou leur départ s’expliquent plus par leurs choix stratégiques ou leur adaptabilité au marché local qu’aux seules décisions du régime. « Il n’y a pas de réponse unique, souligne André Chieng, vice-président du comité France-Chine du Medef et expert reconnu de ce pays. Plusieurs facteurs interviennent, comme le type d’entreprise ou la façon de travailler. Le marché est très changeant, les entreprises n’ont jamais de positions définitives. » On l’a vu dans des secteurs comme l’agroalimentaire, l’automobile et la mode, où les multinationales étrangères sont très présentes.

Un marché « très spécifique »

L’Oréal, Schneider Electric et Danone qui rient… Le géant français des cosmétiques a notamment su exploiter les nouvelles techniques de vente via de grands influenceurs sur Internet, tandis que le groupe d’équipements et de logiciels pour l’énergie innovait sans cesse pour répondre à la transition énergétique et numérique de l’économie chinoise. Après avoir soldé en 2009 son contentieux avec son « partenaire » Wahaha, qui commercialisait indûment son lait infantile, Danone est reparti à l’assaut, note M. Chieng, avec la poudre de lait et Mizone, une boisson vitaminée à succès.

Renault, Auchan et Carrefour qui pleurent… Le constructeur automobile n’a pas su profiter de sa coentreprise avec Dongfeng pour séduire la clientèle chinoise, là où Volkswagen et Tesla (sans partenaire local) ont su s’imposer, et il a jeté l’éponge. Après s’être fortement développés, les deux groupes d’hypermarchés ont reconnu que le marché chinois était « très spécifique », et qu’ils n’avaient pas très bien négocié le virage du commerce en ligne. Ils ont revendu les « hypers » à leurs partenaires, dont le géant de l’e-commerce Alibaba, dans le cadre d’une stratégie plus globale pour réduire leur dette et réinvestir dans l’Hexagone.
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Sans tirer un trait sur l’empire du Milieu, de grands groupes ont réduit leurs ambitions. Après avoir vendu deux réacteurs nucléaires EPR à son partenaire China General Nuclear (CGN), EDF n’a pas perdu espoir d’en vendre deux autres ; mais Pékin développe désormais une filière de centrales de troisième génération 100 % chinoise. Orano construira-t-il jamais son usine de retraitement des déchets nucléaires, un contrat à 10 milliards d’euros négocié depuis près de quinze ans ? Et il y a belle lurette qu’Alstom a fait une croix sur le marché des TGV, conçus et fabriqués localement après des transferts de technologies, notamment de l’ICE allemand.
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La guerre commerciale déclenchée par Donald Trump en 2018 a marqué une étape cruciale. En 2019, le cabinet d’audit Qima notait de nombreuses défections de sociétés américaines dont les produits « made in China » étaient devenus trop chers. Un an plus tard, le président de la Chambre de commerce européenne en Chine (1 700 entreprises), Jörg Wuttke, par ailleurs représentant du chimiste allemand BASF, assurait qu’elles étaient « assises sur un champ de mines politique ».*

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Son dernier rapport est truffé de centaines de « préoccupations » et souligne que la pandémie a dressé « de nouveaux obstacles, qui ont laissé les Européens se sentir de moins en moins bienvenus en Chine ». Bureaucratie, opacité et arbitraire sont loin d’avoir disparu de la vie quotidienne des entrepreneurs étrangers. Comme si, regrette M. Wuttke, l’accès à son marché n’était « pas un droit, mais un privilège » octroyé par les dirigeants chinois au gré des seuls intérêts de leur pays. M. Chieng reconnaît que « l’administration est plus tatillonne et affiche une tolérance zéro », notamment dans un secteur comme l’agroalimentaire, alors que de nombreuses contrefaçons locales se vendent toujours sur Internet. Pékin a même la volonté d’imposer peu à peu ses normes, encore édictées à 95 % par les Etats-Unis, l’Europe et le Japon.

Quitter la Chine ? « Je n’ai pas d’exemples d’entreprises qui l’aient fait pour raison politique », assure M. Chieng. « Leur marché est essentiellement chinois », ajoute-t-il, et immense, alors que les compétences des salariés, la qualité des usines et des infrastructures se sont beaucoup améliorées en vingt ans, leur donnant un avantage sur leurs concurrents du Sud-Est asiatique. Certaines sociétés sont d’autant mieux accueillies qu’elles comblent un manque de savoir-faire local, comme le traitement des déchets dangereux (Veolia, Suez…), les moteurs d’avions (Safran, General Electric…), les aéronefs commerciaux eux-mêmes (Airbus) et les semi-conducteurs, des secteurs où la deuxième puissance mondiale souffre de retards technologiques. Jusqu’à quand ?