Zéro Covid : le ras-le-bol des expatriés en Chine

12 mai 2022

Depuis près de deux ans, le pays où a émergé le Covid-19 vit quasiment coupé du monde. La politique zéro Covid chinoise est lourde de conséquences pour les entreprises étrangères.

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Il est 4 h 30 lorsque l'ambulance fend la nuit de Shanghai en direction d'un hôpital du district de Pudong. Débarqué dans un bâtiment isolé, le Français est d'abord pulvérisé avec un désinfectant avant de se soumettre à deux tests sérologiques, un test PCR dans le nez, un autre dans la bouche puis une radio des poumons.
Face à lui, aucun visage. Le personnel est masqué, visière devant les yeux et habillé d'une combinaison de protection intégrale. Les mots échangés sont rares, mais le jeune homme a compris qu'il avait basculé dans une autre dimension.

« Vous avez été testé positif au Covid-19. Préparez vos affaires, vous partez à l'hôpital », a-t-il été prévenu par un coup de fil quelques heures plus tôt alors qu'il s'apprêtait à passer sa quatrième nuit de quarantaine dans une chambre d'hôtel réquisitionné, passage obligé de tout voyageur arrivant en Chine, même vacciné. La nouvelle tombe comme un coup de massue. Etre positif au Covid-19 en Chine est synonyme d'isolement total en hôpital de quarantaine le temps que toute trace du virus disparaisse. Certains y passent plusieurs semaines.

« Quelques heures plus tard, on est venu me dire que tous les examens complémentaires ressortaient négatifs au Covid-19 », explique le Français. Le soulagement est immense mais le parcours du combattant n'est pas terminé. Il devra rester encore 72 heures à l'hôpital pour de nouveaux tests, avant d'être ramené dans sa chambre de quarantaine. Trois semaines après son arrivée sur le sol chinois et 24 tests PCR plus tard, il pourra enfin rejoindre son poste à Pékin.

Plus aucun vol depuis l'Allemagne

La Chine a érigé une grande muraille sanitaire à ses frontières, tétanisée à l'idée de voir réapparaître le virus depuis l'étranger. Depuis près de deux ans, le pays vit coupé du monde. Enfermé dans une stratégie de tolérance zéro face au virus, Pékin fait la chasse aux cas dits « importés ».
Fin mars 2020, la Chine a introduit une interdiction quasi totale d'entrée des ressortissants étrangers dans le pays. Et elle ne renouvelle plus les passeports de ses citoyens, sauf motifs impérieux.

Les avions à destination de la Chine sont cloués au sol : Pékin n'autorise que l'équivalent de 2 % du volume de vols réguliers existant avant la pandémie. C'est sans compter les nombreuses annulations décrétées par les autorités chinoises visant à sanctionner les compagnies ayant transporté des passagers testés positifs à leur arrivée. Résultat, plus aucun vol régulier ne relie actuellement l'Allemagne à la Chine ! Le nombre de vols hebdomadaires entre la France et la Chine se compte sur les doigts d'une main, alors qu'il dépassait la centaine avant l'émergence du Covid-19 à Wuhan. L'incertitude est permanente : les vols sont annulés à la dernière minute et les règles de quarantaine changent sans préavis.

Visas au compte-gouttes

Cette grande muraille sanitaire a laissé bon nombre d'étrangers bloqués hors de Chine.
Certains avaient fui le pays au début de l'épidémie et se sont retrouvés dans l'impossibilité d'y retourner. La Chine ne délivre plus de visas de tourisme ni de visas étudiants depuis deux ans et n'attribue qu'au compte-gouttes de nouveaux permis de travail, les candidats devant au préalable obtenir une lettre d'invitation des autorités chinoises.
(...) Il y a une sinisation forcée des entreprises étrangères en Chine.

Inversement, des dizaines de milliers d'étrangers se retrouvent bloqués en Chine, sans pouvoir retourner dans leurs pays d'origine sauf à quitter définitivement le sol chinois. Cette dernière option est de plus en plus privilégiée par des familles découragées par les longues quarantaines et autres restrictions. Le nombre de ressortissants français en Chine continentale (hors Hong Kong) a chuté de 11 % l'an dernier pour tomber à 12.400 personnes, selon les derniers chiffres consulaires. Il y a désormais quatre fois plus de Français vivant au Luxembourg qu'en Chine !
Le Covid-19 a accéléré le déclin de la communauté française amorcé il y a sept ans. Et ce n'est pas terminé. « Il y a une vraie fatigue morale des expatriés, dont certains n'ont pas vu leur famille et leurs amis depuis presque trois ans », confie un chef d'entreprise. Pour beaucoup, l'été 2022 sera celui du grand départ.

Pénurie d'expatriés

Les restrictions de voyages sont lourdes de conséquences pour les entreprises étrangères.
(...) « Outre les problèmes de visa, personne ne se bouscule pour venir travailler en Chine en sachant les conditions de quarantaine et la quasi-impossibilité de sortir du territoire pendant une période inconnue », admet un cadre dirigeant d'une entreprise française de services. (...)

Cette pénurie d'expatriés accélère les embauches locales.
Là encore, ce processus de « sinisation » était déjà à l'œuvre depuis plusieurs années chez des filiales étrangères soucieuses de réduire les coûts d'expatriation et de valoriser les compétences de managers chinois. Mais ce qui relevait d'un choix s'est transformé en impératif avec le Covid-19, faute de pouvoir recruter à l'étranger. « Il y a, de fait, une sinisation forcée des entreprises étrangères en Chine », pointe un diplomate. L'absence d'étudiants et de VIE (volontariat international en entreprise) prive également les filiales d'un futur vivier de jeunes qualifiés, ayant déjà une connaissance de la langue chinoise et de la Chine.

Défiance des sièges parisiens

La fermeture du pays complique la communication entre les sièges et les filiales. « Je n'ai pas vu mon PDG depuis deux ans et demi, constate un patron de filiale. Avant, il venait régulièrement en Chine et j'allais en France.
La stratégie zéro Covid est une forme de découplage entre la Chine et le reste du monde. » Plusieurs dirigeants de filiales interrogés s'inquiètent de voir les sièges sociaux parisiens perdre la compréhension du marché chinois. « Ici, les choses vont radicalement plus vite qu'en France », souligne l'un d'eux. Le fossé se creuse entre la perception de la Chine par les sièges et par les filiales. La très nette dégradation de l'image du pays en Occident alimente une défiance au siège qui n'est parfois pas comprise par des filiales très autonomes et qui ont constitué une planche de salut quand le reste du monde était paralysé par l'épidémie.

Un patron de filiale en Chine

Cette déconnexion rend les décisions plus compliquées. Si la Chine continue d'attirer les investissements du monde entier, « l'investissement qui mettait deux semaines à être validées à Paris prend maintenant deux mois », indique un chef d'entreprise à Shanghai. « L'impact sur les décisions d'investissement se fera sentir d'ici à quelques années : à force de ne pas pouvoir venir se rendre compte sur place et d'entendre un flot de nouvelles négatives, de plus en en plus d'entreprises vont préférer investir ailleurs qu'en Chine », met en garde Bettina Schoen-Behanzin, vice-présidente de la Chambre européenne de commerce. La venue du grand patron était aussi souvent un accélérateur d'affaires. « Il avait accès à des autorités de haut rang et rencontrait nos partenaires et nos gros clients, indique le patron Chine d'un groupe du CAC 40. En interne, sa venue permettait de mettre tout le monde sur la même ligne. »

Remise en cause

Malgré ces difficultés, la politique zéro Covid de la Chine (fermeture des frontières, traçage technologique de la population, dépistages massifs et verrouillages dès l'apparition de quelques cas) a été redoutablement efficace : la Chine fait état d'un bilan officiel de moins de 5.000 morts qui, même s'il prête à caution, contraste fortement avec le reste du monde.

Cette tolérance zéro a aussi permis à l'économie chinoise de repartir très vite. Mais elle est mise à rude épreuve face au variant Omicron ultra-contagieux. Des voix s'élèvent - surtout hors de Chine - pour remettre en cause cette stratégie.
Le FMI a exhorté Pékin à « réajuster » sa stratégie, jugeant qu'elle devenait un « fardeau » pour son économie et le reste du monde.
A Tianjin, Xi'An ou Ningbo, les confinements ont récemment entraîné des fermetures temporaires d'usines et perturbé les chaînes de valeur mondiales. Avec Omicron, les verrouillages vont se multiplier dans le pays, craint la chambre de commerce