La crise relance le débat sur la suppression des CHSCT

19 mai 2020

Pour les syndicats, l’épidémie de coronavirus a démontré l’importance d’avoir des instances dédiées à la santé dans les entreprises. C’est un peu leur revanche. Avec la crise sanitaire, les questions de santé et de sécurité au travail sont revenues en force dans les entreprises. L’organisation de la reprise de l’activité, après des semaines de confinement, a même été le sujet central de toutes les réunions entre employeurs et représentants des salariés. Il y a seulement deux mois, aucun syndicaliste n’aurait imaginé cela… Pour eux, les ordonnances 2017 de réforme du Code du travail avaient définitivement relégué les problématiques de santé au rang des préoccupations annexes.                

Malgré une levée de boucliers générale, les centrales avaient dû se résoudre à voir les instances dédiées à ces questions, les CHSCT (comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail), dissous dans les CSE (comités sociaux et économiques), nouveaux organes uniques de représentation des salariés.

«Dans les entreprises de plus de 300 salariés, les CHSCT ont été remplacés par une commission qui n’a plus de personnalité morale, ne peut plus ni lancer une expertise ni saisir la justice si elle estime qu’il existe un danger pour les salariés. Elle doit demander au CSE de le faire. Le problème, c’est que les ordres du jour des CSE étant chargés, l’examen de leurs requêtes est souvent reporté», (…)

Mais la crise du coronavirus pourrait changer la donne.(…) La santé au travail va rester au cœur du dialogue social. Maintenant, les CSE vont s’en emparer car ils n’auront pas le choix. Ce qu’il faut noter aussi, c’est qu’avec les négociations, nous avons un pouvoir normatif. Il faut s’en emparer.» L’obligation de négocier les conditions de la reprise d’activité accapare les discussions. (…)

La prudence reste néanmoins de mise, avec la crainte d’un retour au statu quo une fois la crise du coronavirus passée. «Nous retomberons dans les mêmes travers. Il est difficile de traiter de tous les sujets avec une seule instance surtout quand il y a moins de gens pour le faire». La suppression d’un certain nombre de mandats de délégué du personnel avec la réforme préoccupe les Organisations Syndicales. Cela signifie moins de proximité avec les salariés pour faire remonter les problèmes mais aussi des représentants moins spécialisés et donc moins performants dans les négociations. «Le CHSCT avait le mérite d’être une instance séparée et entière dédiée aux questions de la sécurité et des conditions de travail. C’est extrêmement important avec l’évolution des modes d’organisation. Aujourd’hui, on se rend bien compte que le maintien d’une telle instance était indispensable», plaide le responsable FO, dont le syndicat réclame le retour des CHSCT dans le privé et l’arrêt du processus de fusion des instances, qui doit aboutir en 2022 dans le public.

Questions à Stéphane Jégo, consultant chez Sextant Expertise

Au regard de la crise actuelle, la suppression des CHSCT était-elle une erreur?

Stéphane JÉGO - Contrairement à ce que l’on a dit au début, les CHSCT n’ont pas disparu: ils ont fusionné. Leurs missions de prévention et de protection de la santé des salariés ont été reprises par les CSE, l’abondante jurisprudence actuelle (Amazon, Renault…) le prouve. La différence entre les CHSCT et les «commissions santé et sécurité» actuelles, c’est que les premiers avaient une consistance territoriale. Il y avait un CHSCT dans chaque établissement, sur chaque site de production des entreprises. Aujourd’hui, tout se joue au niveau du CSE central. Avec ce qui se passe en ce moment, on a un effet concret de l’application des ordonnances qui montre qu’il manque un maillage local. Avant on avait deux instances, le CHSCT pour la santé et le CE pour les orientations stratégiques, qui fonctionnaient mal ensemble. Or, les préoccupations actuelles sont autant la santé que l’économie

La grande difficulté, c’est que tout est rappelé au centre. Une commission aide à la décision mais, au final, tout doit passer sous les fourches caudines du CSE. Et quand il s’agit d’un problème local, cela ne fonctionne plus. Chez Amazon, avec des référents implantés localement dans les entrepôts concernés, il y aurait eu des réunions, des actions directes, des alertes lancées sans que cela remonte au CSE du siège, très occupé par ailleurs. Avec l’éloignement, il y a une perte d’efficacité.

Faut-il revenir en arrière?

Je pense qu’on peut faire avec la législation existante, d’autant plus que les CSE ont aussi des avantages. Avant on avait deux instances, le CHSCT pour la santé et le CE pour les orientations stratégiques, qui fonctionnaient mal ensemble. Or, les préoccupations actuelles sont autant la santé que l’économie, et c’est intéressant que cela soit abordé dans la même instance. Ensuite, les entreprises peuvent pallier le manque d’ancrage local par des accords, en plaçant des référents locaux. C’est de la négociation pure. Les entreprises qui s’en sortent le mieux aujourd’hui sont celles qui ne se sont pas contentées de faire le minimum légal.

Par Anne-Hélène Pommier

Publié le 15 mai 2020 à 18:12 Le Figaro

https://www.lefigaro.fr/social/la-crise-relance-le-debat-sur-la-suppression-des-chsct-20200515