Grèves chez Carrefour, Decathlon, EDF… Cette année, les négociations salariales seront particulièrement sensibles. Et extrêmement attendues des salariés aussi, nombreux étant ceux à avoir fait des efforts lors des confinements et soucieux du retour de l'inflation.
Par Julien Dupont-Calbo, Bruno Trévidic, Enrique Moreira, Philippe Bertrand, Catherine Ducruet
Publié le 19 oct. 2021 à 6:10Mis à jour le 19 oct. 2021 à 9:34
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Ce sera un millésime particulier, fleurant l'inflation, avec un arrière-goût d'âpreté. Cette année, le grand théâtre des négociations salariales devrait offrir des représentations plus marquantes que la normale. Il n'y a pas que les envolées sur le pouvoir d'achat des candidats à l'Elysée : avec la hausse assez spectaculaire des prix , les résultats financiers souvent rutilants des entreprises rescapées du Covid-19 sans oublier les efforts consentis par de nombreux salariés pendant la crise sanitaire, les chefs d'entreprise savent qu'ils auront bien souvent du mal à couper aux augmentations générales.
Les représentants syndicaux les attendent plus que jamais au tournant. Puisque la hausse du SMIC de 2,2 % au 1er octobre a planté le décor, certains ont décidé de mettre la pression avant la pleine saison des « NAO » - les négociations annuelles obligatoires. « La Banque de France indique une inflation de 2 % sur douze mois glissants. C'est inédit ces dernières années, mais on ne sait pas si cela va durer ou retomber. Les syndicats ont donc intérêt à négocier au plus tôt », explique un expert des relations sociales.
Fenêtre idéale
Dans la grande distribution, les discussions commencent en janvier février - la fin d'année est un pic commercial à ne pas perturber. Chez Carrefour, la CGT et la CFDT ont tout de même appelé à la grève le week-end dernier. Chez Decathlon, la CFDT a réitéré, avec un mouvement relativement peu suivi samedi. Mais qu'importe, chez le sportif des Mulliez , où les mouvements sociaux sont rarissimes, le fait de voir des salariés débrayer pour une hausse des salaires s'avère assez extraordinaire.
La politique de la chaise vide est plus courante ailleurs. Chez EDF et dans toute la branche des industries électriques et gazières, les syndicats appellent à la grève ce mardi pour une revalorisation de 10 % du salaire national de base. Ceci alors qu'EDF devrait largement profiter de la flambée actuelle des prix de l'énergie. « Les salariés ont été sur le pont sans discontinuer pendant la crise sanitaire, ce n'est pas juste qu'ils ne soient pas récompensés de ces efforts », estime Fabrice Coudour, secrétaire fédéral de la CGT mines-énergie.
Dans l'industrie pharmaceutique, elle aussi en première ligne dans le combat contre le Covid, la CFDT « prépare » également le terrain avec la NAO de décembre, brandissant les arguments de l'inflation et de la mobilisation des salariés pendant la pandémie.
« Cette année est très particulière, abonde Sylviane Troadec, la présidente de la commission sociale de la Fédération professionnelle des entreprises du recyclage, qui a signé pour une augmentation de 2,5 %, à l'unanimité. « C'est une première. Même la CGT a signé. Tout le monde voulait aboutir après les efforts de la branche pendant les confinements. C'était difficile de faire moins que la hausse du SMIC pour conserver notre attractivité : nous avons de sérieuses difficultés de recrutement sur des profils comme les chauffeurs poids lourds ou les conducteurs d'engins. Et puis les chiffres de l'année sont plutôt bons », raconte la dirigeante, membre du Comex de Paprec.
Les pénuries de main-d'oeuvre actuelles - ou la guerre des talents -, dans différents secteurs favorisent également l'expansion salariale. Dans la tech, les grosses levées de fonds de quelques start-up bousculent, par exemple, les exigences des développeurs et des experts de « l'IA » , qui ont la main pour négocier le « package » souhaité.
Situations contrastées
Tout ceci ne veut pas dire que les directions financières sont prêtes à se montrer plus généreuses que le strict nécessaire. Le Covid a laissé des traces sur la logistique mondiale, en pleine crise , ou sur le prix des matières premières… Les syndicalistes le savent bien. « Les attentes dépendant beaucoup du secteur d'activité et des entreprises. Dans celles qui n'ont plus les stigmates de la crise, la volonté sur le terrain est de faire au moins l'inflation. Dans l'automobile, où l'on ne travaille pas trop en ce moment et où la santé des entreprises reste floue à moyen long terme, il n'y a pas de grandes ambitions », constate Bruno Azière, secrétaire fédéral Métallurgie à la CFE-CGC.
A Toulouse, Airbus ne prévoit pas de retrouver son niveau de production antérieur avant 2023 . Les multiples efforts consentis ont généré une réelle perte de pouvoir d'achat pour tous les salariés d'Airbus, et un « sentiment de frustration » généralisé, selon les représentants syndicaux interrogés. Une frustration qui s'est notamment traduite par des débrayages en mai dernier, dans un atelier de peinture d'Airbus avion à Toulouse en mai, ainsi qu'à Nantes et Saint-Nazaire.
La dernière négociation salariale de l'avionneur s'était tenue en mai dernier alors que le transport aérien ne donnait encore aucun signe de reprise. D'où un accord a minima, avec une augmentation générale limitée à 1 % pour la période du 1er juillet 2021 au 30 juin 2022, pour les cols-bleus et une partie seulement des cols blancs.
Pour un grand nombre de salariés, cette hausse générale se traduira par le minimum prévu, soit 35 euros. « C'est particulièrement frustrant pour les jeunes ingénieurs qui n'ont pas eu d'augmentation individuelle », estime Marc Baillion, délégué CFDT. « Au total, cela fera deux ans et demi sans augmentation », résume Patrice Thébault, à la CGT.