La réunionnite n’est pas le problème,... c’est le symptôme d’un problème

12 octobre 2022

Selon une enquête menée par le chercheur Steven Rogelberg et citée par Les Echos, les employés passent en moyenne 18 heures par semaine en réunion! Ils ne refusent que 14% des invitations alors qu’ils préféreraient ne pas participer à 31% d’entre elles, qu’ils jugent inutiles.(...) Face à ce fléau, les entreprises tentent de réagir, mais largement sans succès. La raison est qu’elles n’ont pas compris la véritable cause du problème.
Lire l’article compet : ''Comment (ne pas) lutter contre la réunionnite'' par Philippe Silberzahn

Cette grande entreprise française a décidé de prendre le problème de la réunionnite à bras le corps. La DRH a émis un guide à tous les managers pour éviter les réunions inutiles.
Très didactique, le guide tient en une page sous forme de diagramme de décision. Il commence par « Ai-je besoin d’une réunion? » Si oui, le guide explique comment l’organiser et la gérer: la limiter à 30-45 minutes, n’inviter que les participants essentiels, rester concentré sur son objet, envoyer les documents à lire à l’avance, etc. Si non, préférer un envoi d’email, pour lequel diverses règles sont également formulées (limiter le nombre de personnes en copie, etc.)

C’est précis, concis, clair… et totalement vain. Car l’erreur faite par la DRH ici, et par beaucoup d’autres entreprises où j’ai rencontré ce type de situation, c’est qu’elle se trompe de problème. La réunionnite en effet n’est pas le problème; c’est le symptôme d’un problème. Mais lequel?

À la source de la réunionnite se trouve la peur

Pour le comprendre, évoquons une autre organisation, elle aussi paralysée par la réunionnite. C’est une très grande entreprise industrielle. La majorité des managers ont une formation d’ingénieur. En creusant un peu les modèles mentaux dominants de ce groupe, on arrive vite à voir que l’un d’entre eux, très puissant, est la peur de commettre une erreur. Selon plusieurs d’entre eux que j’ai interrogés, « Un manager doit avoir réponse à tout ». La peur ultime, c’est d’être incapable de répondre à une question dans une réunion, en particulier en présence de supérieurs. Cette peur initiale en entraîne une autre, qui est évidemment la peur de l’échec, vécu comme une humiliation, notamment vis-à-vis de ses pairs.
Non gérée par l’entreprise, car jamais avouée donc invisible, cette peur gangrène tout le système, car chaque manager va vouloir se protéger.
C’est ainsi que le moindre petit projet se retrouve avec un comité de pilotage composé d’au moins trois collègues, et son lot d’assistants chefs de projet, de rapports, de vérifications et de revérifications, et… de réunions. Tous les managers se plaignent de la situation, mais ce sont eux qui la créent inconsciemment.

La réunion, une réaction rationnelle

Et donc la réunion est un magnifique outil pour soulager la peur: on « mouille » ses collègues, on se rassure sur sa propre importance en étant invité, et on développe des liens sociaux en échangeant sur la pluie et le beau temps. Autrement dit, la réunion est la solution trouvée par les individus pour se protéger. Elle est une réaction rationnelle à la peur qui les anime.

Dans ces conditions, on comprend pourquoi les efforts de la DRH pour lutter contre la réunionnite sont vains. Lorsqu’il considère la question « Ai-je besoin d’une réunion? », le collaborateur répondra instinctivement « Oui, désespérément! » sans bien-sûr jamais avouer sa véritable motivation. Notons ici qu’il est parfaitement sincère. Nulle manipulation politique ici. J’ai peur, j’organise des réunions pour soulager ma peur. D’où le problème avec la notion de réunion « inutile ».
Comment décider qu’une réunion est utile ou pas? C’est évidemment très subjectif. Si on a une approche purement technique, beaucoup de réunions sont effectivement inutiles. Une approche plus sociologique, prenant en compte les modèles mentaux, rend la distinction presque impossible. Si une réunion permet de soulager ma peur, alors selon moi elle est très utile, il faut même que j’en organise le plus possible, et le magnifiquement logique « guide des réunions » produit par ma DRH n’a aucun sens pour moi. Si on m’impose de limiter ma réunion à 30 minutes, pas grave! J’en organiserai deux, ce sera encore mieux pour soulager ma peur!

Le danger d’une solution technique à un problème systémique

Autrement dit, la lutte contre la réunionnite commet l’erreur cardinale des tentatives de transformation : elle constitue une solution technique portant sur le symptôme, et non sur la cause. Elle souffle le froid sur le thermomètre dans l’espoir de faire retomber la fièvre. On voit que le terme lui-même, « réunionnite », est problématique, car il connote une forme de maladie, de tic nerveux ou d’attitude irrationnelle: il pointe sur une solution avant même d’avoir identifié la cause. La seule façon de lutter contre « la réunionnite » est d’agir pour réduire la peur des managers.
Dans l’exemple de l’entreprise industrielle, cela passe par un travail sur les modèles mentaux du manager: faire admettre qu’un manager n’est pas censé avoir réponse à tout; qu’on n’attend plus de lui qu’il soit l’expert qu’il était dans la première partie de sa carrière, mais au contraire un généraliste capable de dialoguer avec les différentes fonctions, c’est-à-dire des gens plus experts que lui.
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Lire l’article compet : ''Comment (ne pas) lutter contre la réunionnite'' par Philippe Silberzahn